Reconnaissance des collaborateurs : que nous réserve le digital ?

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“Reconnaissance des collaborateurs : que nous réserve le digital ?” Tel était le titre de l’atelier que Anthony Poncier et moi-même avons animé tout récemment dans le cadre d’un colloque organisé par l’ANDRH et Orange Business Services, intitulé “L’homme, l’avenir du numérique”. Que fallait-il retenir de cet atelier ?

La nouvelle entreprise, celle du monde digital, embarquera demain un modèle de management qui reste à inventer : il devra être encore plus respectueux des hommes et des femmes dans leurs différences, leurs aspirations, attentif à l’impact des changements, transparent sur les contreparties attendues. Ce nouveau modèle devra répondre à la fois aux objectifs collectifs et satisfaire les ambitions individuelles ; savoir concilier l’économique et le social. Mais si la révolution numérique peut valoriser le rôle de chacun, elle peut être aussi un nouveau Taylorisme, destructeur d’humain. Ou bien est-ce une nouvelle forme de contrôle, moins visible et donc plus pernicieux, à l’image du Panopticon, modèle de prison développé au 18ème siècle par Jeremy Bentham, dans lequel la potentialité d’être surveillé est plus efficace que la surveillance elle-même ?

Ce modèle d’entreprise digitale peut cependant se définir selon 3 dimensions :
– l’interne : car il promet des changements de process, impose de revoir le management et les modèles managériaux, redessine la nature et des relations entre les hommes, appelle des compétences nouvelles chez les collaborateurs et les managers.
– l’externe : avec une forte dimension autour des médias sociaux. Poussée par ses contacts externes (clients, prospects, actionnaires, fournisseurs, candidats, …) et par l’évolution rapide de leurs comportements, l’entreprise doit revoir dans l’urgence ses modes de communication, de distribution, son marketing, son SAV, gérer sa e-reputation
– le business model : car les nouveaux concurrents, pure players ou nouveaux entrants venant d’un tout autre secteur, adoptent un regard neuf, libéré de toute contrainte, qui bouscule les situations établies, rebat les cartes. Et ce, à un rythme que les acteurs traditionnels peinent à suivre. Uber pour les transports, Amazon pour le commerce, Google dans de nombreux domaines, pensent une société en réseau (énergie, télécom, transport…), les exemples sont infinis.

Mais au-delà de ces 3 dimensions habituelles, le domaine du digital va bien plus loin, mélangeant nouvelles technologies (bien plus larges que les médias sociaux, comme l’internet des objets par exemple ou le big data), les usages (partages, gamification, …), la culture (importance de l’éphémère et des nouveaux écrans). L’ensemble étant de plus en plus disruptif par rapport à un monde passé, où les usages grands publics commencent à peser plus que la culture d’entreprise et lui imposent un rythme plus soutenu.

Ce nouveau modèle d’entreprise ne pourra se développer sans une remise à plat de son modèle managérial car plus que les outils, cette révolution numérique concerne la culture, les usages, les comportements individuels et sociaux, les interactions, autant de domaines qui concernent directement les RH. Une attention particulière doit être portée au rythme de cette transformation : comment concilier le niveau d’acceptabilité de l’interne et les exigences du rythme du marché et des concurrents ? Comment manager des équipes à distance, intégrer des différences générationnelles, articuler les dimensions culturelles locales et globales. Difficile de définir un modèle unique.

Dans tous les cas, le modèle actuel de l’entreprise reste encore très hiérarchisé et cloisonné, dans la logique de fonctionnement des business units, aux P&L différenciés. Ce modèle ancien, finalement peu différent de celui de la Révolution Industrielle (unité de temps pour tous les collaborateurs, et de lieu autour des outils de production) est de plus en plus remis en cause à la fois par des nouvelles exigences et de nouveaux comportements des collaborateurs (télé travail, BOYD,…), et parce qu’il semble atteindre certaines limites en termes d’efficacité, notamment sur des marchés où l’innovation, l’agilité et l’imagination deviennent indispensables.

Certaines initiatives voient le jour, comme celle de HCL, entreprise informatique indienne qui prône le “employee first”, non par démagogie mais pour être au plus près de la création de valeur, comme Zappos, défenseur de l’holacratie et de la limitation des “couches” managériales. On constate d’ailleurs souvent une co-existance de plusieurs modèles au sein d’une même entreprise.

C’est l’ensemble du triangle managérial qui est à repenser :
– le collaborateur dans un rôle d’ambassadeur interne et externe, dans son rapport à l’ensemble des parties prenantes. Qui doit aussi l’amener à comprendre que le partage est aussi à son avantage, traduit par un proverbe japonais « la bougie ne perd rien de sa lumière en la communiquant à une autre bougie ».
– Le manager doit comprendre que l’on peut avoir le respect au lieu de la domination, la confiance au lieu de la discipline, la transparence au lieu de l’opacité et la valorisation au lieu de l’appropriation.
– Quant au RH, gardien des anciens modes de fonctionnement, il doit aussi savoir être celui qui guide vers ces nouveaux modèles et talents qui risquent de le mener à la schizophrénie (d’où peut-être son peu d’engagement actuel).

Il est donc certain que la reconnaissance des collaborateurs va elle aussi évoluer : critères de reconnaissance, process d’évaluation, évaluateurs, récompenses… Le manager est-il encore le plus légitime pour évaluer un collaborateur qui travaille chaque jour davantage avec des interlocuteurs multiples, dans des modes projets provisoires, avec des équipes internes et externes à l’entreprise ? Le 360 évoluera sans doute vers davantage d’acteurs sollicités pour l’évaluation : clients, pairs,… L’entreprise est-elle crédible quand elle maintient un process d’évaluation individuel et dans le même temps revendique les vertus de la collaboration et le collectif ? Le rythme annuel du cycle évaluation / récompense individuelle sera-t-il longtemps accepté par des collaborateurs jeunes, élevés aux jeux vidéos et à leur modèle de récompense instantanée, à qui l’on demande des résultats sur le court terme ? Et que penser des rétributions, qui considèrent le collaborateur comme un individu unique, niant ainsi qu’il puisse avoir des attentes différentes, par exemple selon ses moments de vie : contre-partie financière immédiate ou reportée, rétribution en nature ou en services, protection sociale renforcée, besoin de formation, besoin d’autonomie, reconnaissance d’une expertise personnelle en dehors de sa fiche de poste habituelle…

Les modes de recommandation des médias sociaux : badges FourSquare, recommandations LinkedIn, critères de fiabilité chez de E-bay, score Klout,… préfigurent peut-être ce que sera demain la reconnaissance des collaborateurs dans l’entreprise digitale. Quoiqu’il en soit, nous sommes à la croisée de chemins et ces choix vont largement marquer ce que sera le rapport de l’entreprise de demain avec ses collaborateurs, pour le meilleur ou pour le pire.

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