Droit à la déconnexion et objets connectés

déconnexon et BOYD

Le droit à la déconnexion que nous évoquions à la fin de notre billet introductif « Les défis du BYOD face à la transition numérique de l’entreprise » est un sujet récurrent depuis plus d’une quinzaine d’années. Il s’inscrit aujourd’hui avec d’autant plus d’urgence dans l’agenda des entreprises que la transition numérique devient le principal axe stratégique et que les nouveaux outils de communication semblent modeler une nouvelle organisation du travail.

Droit à la déconnexion. Juridiquement, le “droit” à la déconnexion n’est pas (encore ?) un droit opposable à l’employeur, les magistrats de la Cour d’appel de Paris ayant par exemple refusé de le reconnaître en tant que tel dans une affaire le 23 novembre 2011 alors que le salarié invoquait sa violation. Néanmoins, cette notion de déconnexion a été actée sous la forme d’une “obligation de déconnexion des outils de communication à distance” le 1er avril 2014 par la Branche des Bureaux d’Etudes Techniques, Cabinets d’ingénieurs-conseils, Sociétés de Conseil (CINOV et Fédération SYNTEC) dans le cadre des négociations sur la notion de forfait jour.
Par ailleurs, et toujours sans admettre en tant que tel de droit à la déconnexion, la Cour d’appel de Paris a reconnu le 20 mars 2014, qu’un mode de management consistant en de très nombreux appels téléphoniques et de SMS notamment en-dehors des heures de travail – et ayant conduit à une dépression nerveuse d’un salarié – était constitutif de harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du Code du travail. L’ultra connectivité et l’omni disponibilité du salarié trouvent en effet leurs limites dans les conséquences qui en découlent sur le plan de sa santé : l’employeur a ainsi l’obligation absolue d’assurer “la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs” (art. L. 4121-1 du Code du travail – obligation de résultat).

Or, paradoxalement, quelque soit la position qu’adopteront les entreprises (rester passive et subir ou prendre l’initiative), les objets connectés et autres traqueurs d’activité sont appelés à se multiplier en leur sein, ce qui pourrait entraîner beaucoup plus qu’une simple liaison de communication asynchrone – donc auxquels le salarié peut choisir de ne pas répondre – tel que peuvent l’être le téléphone, le SMS ou l’email.

La pression s’exerce donc doublement sur l’employeur pour que ses salariés soient dotés de tels outils :
– la pression des clients : les entreprises sont aujourd’hui promptes à considérer leurs salariés comme leurs ambassadeurs naturels. Or, elles se trouvent confrontées à une évolution technologique telle que ces salariés au contact de la clientèle ne peuvent plus se permettre d’apparaître en retard d’une connaissance ou d’une aisance technologique, aussi bien dans les équipements dont ils sont pourvus que dans leur vocabulaire ou leurs usages. Les clients s’étonnent par exemple aujourd’hui de ne pas pouvoir signer électroniquement leur contrat sur une tablette, veulent pouvoir profiter de l’intégralité des services depuis leur smartphone ou contacter un service commercial via les réseaux sociaux. Pleinement en attente des bienfaits de la révolution numérique, les clients les plus technophiles s’attendent à ce que, dès qu’un nouvel objet connecté arrive sur le marché (montre, lunettes, etc.), des applications leur simplifiant la relation avec les entreprises dont ils sont clients soient immédiatement mises à disposition. L’écosystème des applications présentes à la commercialisation de ces nouveaux objets vient ainsi renforcer ou diminuer l’attrait global et le futur succès commercial de l’objet en question.
– la pression des collaborateurs eux-mêmes : une part importante des salariés sera elle-même demandeuse de l’utilisation de tels outils, et notamment quand ces derniers leur appartiennent en propre (BYOD devenant BOYCL). Et comme pour l’acceptation des tablettes et smartphones personnels en entreprise, le postulat de départ est identique : des collaborateurs qui utilisent à titre professionnel des outils personnels qu’ils maîtrisent parfaitement seront beaucoup plus performants, plus rapidement. Par effet de bord, l’entreprise devra plus rapidement se mettre en ordre de bataille pour suivre le rythme effréné de ces innovations, chose qu’elle n’arrivait plus forcément à faire jusqu’ici. Dans ce cas toutefois, la pression pour l’acceptation de tels outils dans l’entreprise sera a priori encore plus forte : leur utilisateur vient en effet à les considérer comme des outils essentiels car ils deviennent des extensions de lui-même (montres, lunettes, chaussures, bijoux, vêtements, etc.).

Si l’on prend le seul exemple des lunettes connectées, certaines entreprises sont déjà en train d’expérimenter des situations dans lesquelles les lunettes connectées peuvent jouer un rôle important dans la personnalisation de la relation client ou dans la satisfaction de l’immédiateté :
– en octobre 2014, les contrôleurs du train iDTGV Paris – Béziers ont été équipés de lunettes connectées pour la validation des billets. Une fois le ticket scanné, les agents ont vu apparaître sur leurs lunettes les noms des passagers, leur numéro de siège et même leur anniversaire ;
– les conseillers de Banques Populaires expérimentent, dans l’Ouest de la France, la possibilité d’avoir tout de suite à leur portée, sans quitter le client des yeux, l’ensemble de leur historique, ainsi que les offres les plus adaptées affichées sur leurs lunettes connectées.

Et pour l’évaluation des collaborateurs ?
Dans ce type d’hypothèses, et hormis bien sûr les problématiques de protection des données à caractère personnel des clients dont l’étude sort du cadre de ce billet, parallèlement à la question de la déconnexion du salarié pendant ses heures de repos, apparaît naturellement celle de l’évaluation professionnelle, constante et précise, du collaborateur.
Sur ce point, rappelons que le salarié doit être informé préalablement des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en oeuvre à son égard (L. 1222-3 du Code du travail) qui doivent être pertinentes, avec des critères objectifs et transparents. Or ce sont des critères auxquels, justement, les traqueurs d’activité et autres objets connectés dont on parle ici, pourraient apporter une réponse intéressante, par le biais des traces informatiques produites. Rassurons-nous toutefois face à ce qui pourrait apparaître comme un panoptique absolu des faits et gestes du salarié : la limite à l’ubiquité du dispositif se retrouvera toujours dans l’obligation de sécurité de résultat qu’à l’employeur envers son salarié, évoquée plus haut.
Plus globalement, les enregistrements informatiques issus de dispositifs pourraient, en cas de contentieux entre le salarié et l’employeur, servir de preuve de la réalité des faits contestés (à l’égal des preuves issues de contenus publiés sur les réseaux sociaux notamment, et qui sont devenues légions devant les tribunaux en droit de la famille comme en droit du travail) en étant corrélés avec d’autres éléments de preuve (voire entre eux ?). Un arrêt récent de la Cour de cassation (arrêt du 5 novembre 2014) pourrait laisser penser que, cantonnés au temps et au lieu de travail et même en l’absence d’information préalable du salarié, ces éléments de preuves pourraient parfaitement être acceptés.

Ce qui soulève notamment certaines questions quant à la question de la fiabilité de ces données (le salarié portait-il effectivement le traqueur ? Les données ont-elles pu être falsifiées par une des parties ou un tiers, etc.). Autant de sujets que nous ne faisons ici qu’effleurer – afin de rester synthétique – mais qui doivent être anticipés dès à présent. Le prochain billet traitera ainsi plus précisément de ce que peut faire l’entreprise (interdire ? encadrer ? en tirer avantage ? pourquoi ? comment ?) face aux pratiques de BYOCL

NB : Ce billet a été écrit en collaboration avec François Coupez que vous pouvez également retrouver sur son blog. Compte tenu de l’ensemble des angles qu’un sujet aussi riche permet d’aborder, il s’inscrit dans une série de billets permettant de donner une vision plus transversale du sujet.

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