Tour du monde des RH : l’Ukraine et Leroy Merlin

Muriel Schulz DRH Ukraine Leroy Merlin

Je vous invite à découvrir une planète RH peu connue en faisant un « Tour du monde des RH », rendez-vous que je proposerai régulièrement. Une occasion de découvrir autrement le quotidien du métier de DRH, de confronter la vision française en matière de formation, de marque employeur, d’engagement, de rémunération… avec d’autres pays. C’est aussi et surtout une opportunité de parler de culture et de société. Pour notre première escale, notre guide sera Muriel Schulz, Directrice des Ressources Humaines de Leroy Merlin en Ukraine.

Bonjour Muriel, pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous ?
Je suis expatriée comme Directrice RH pour Leroy Merlin Ukraine depuis 15 mois maintenant à Kiev avec mon mari et notre fils de 12 ans. J’ai 47 ans. J’ai débuté ma carrière chez L’Oréal, dans la vente, avant d’évoluer vers le domaine des Ressources Humaines où j’ai principalement accompagné pendant 15 ans la croissance et la transformation des métiers au sein de plusieurs groupes multinationaux de la grande consommation. Puis, j’ai ressenti le besoin de changer de secteur et de rejoindre des entreprises pour lesquelles la compétence des équipes est un avantage concurrentiel stratégique. J’ai ainsi poursuivi mon parcours de DRH depuis 10 ans dans les services et la distribution, ou je me passionne pour les nouveaux défis humains à relever à l’ère du digital.

logo Leroy MerlinQu’est ce qui fait votre quotidien de DRH ? Quels sont les principaux défis liés au contexte particulier de l’Ukraine ?
Leroy Merlin en Ukraine est encore une jeune BU, 6 ans d’existence, avec 3 magasins implantés à Kiev uniquement et un peu moins de 800 collaborateurs. Sur ce marché de 43 millions d’habitants, avec un potentiel énorme, l’enjeu est d’assurer la croissance pérenne de notre business model dans un pays très complexe. Nous sommes le challenger derrière un acteur ukrainien majeur qui s’est lancé depuis une dizaine d’années. Notre priorité est de développer et de faire vivre chaque jour la culture humaine propre à notre Groupe basée sur la confiance et le développement des hommes. Notre ambition est d’apporter aux habitants de l’Ukraine une expérience d’achat très différente de ce que proposent les autres acteurs sur le marché, afin de leur permettre de vivre mieux leur habitat à un coût limité : le salaire moyen en Ukraine est inférieur à 300 euros par mois.

Dans ce pays marqué par 60 ans de communisme et de pénurie, la culture du client et du service est balbutiante. Notre principale difficulté est donc d’arriver à recruter des collaborateurs/trices qui aiment aller au-devant du client et comprennent l’importance de la fidélisation du client. À ce jour, notre visibilité est réduite et notre notoriété peu développée. Néanmoins, Leroy Merlin attire par sa dimension internationale et les perspectives de développement. Notre défi est donc de nous faire connaitre auprès d’un public cible et de former l’ensemble des acteurs aux nouvelles techniques de recrutement.

Pour relever ces défis, j’ai avec moi une équipe qui couvre l’ensemble des fonctions RH : 4 personnes sur la formation, le développement des compétences et la gestion des talents, 3 personnes sur le recrutement, l’image employeur, la communication interne et les projets RH, 6 personnes sur la rémunération, la paye, l’administration du personnel et la gestion des expatriés, 2 personnes sur la sécurité du travail, 1 manager RH et 2 assistants dans chaque magasin. Mon quotidien ressemble à tous les postes de DRH que j’ai pu exercer avec quelques spécificités locales à gérer : l’adaptation culturelle, le poids de la bureaucratie de l’administration, la situation de guerre, comme par exemple des collaborateurs réquisitionnés pour le front, et la communication trilingue : ukrainien, russe et français !

Pouvez-vous nous parler des enjeux des entreprises ukrainiennes en matière de recrutement ?
Malgré la récession provoquée par la guerre (PIB estimé à – 8%), le marché du travail reste très tendu car toutes les sociétés occidentales et internationales recherchent les mêmes profils de personnes qualifiées, parlant les langues étrangères et surtout adaptables à la culture économique et business occidentale. Les salariés entre 25 et 40 ans ont connu la période de la désagrégation de l’URSS. Ce sont des enfants nés sous l’ère soviétique, devenus des adultes confrontés aux références capitalistes : ils apprécient naturellement la liberté et la créativité qui est non seulement permise mais même recherchée. Toutefois, l’apprentissage de l’autonomie et du travail collectif reste très compliqué. Face à la révolution digitale, l’Ukraine est en revanche très bien placée, avec une nouvelle génération complètement connectée. Le défi pour les entreprises est de faire changer les habitudes et les techniques de recrutement traditionnelles.

ukraine flagQuelle est la situation en matière de formation ?
L’Ukraine se place hélas au 122ème rang des pays les plus corrompus. Tout s’achète donc, y compris les diplômes ! Il faut redoubler de vigilance pendant le recrutement et prévoir de former en interne. Les formations courtes n’existent que très peu, a fortiori dans le domaine technique ! L’apprentissage reste très théorique. Le budget formation doit donc être conséquent pour développer la compétence professionnelle. Les jeunes ukrainiens sont avides d’apprendre, rigoureux et disciplinés. Partout et dans tous les domaines, fleurissent des Master Class et autres Académies. Par exemple, pour réussir le déploiement de notre stratégie commerciale, nous avons créé notre Académie des métiers, qui développe tous les modules de formation animés en interne pour professionnaliser les équipes.

Quelles sont les usages en matière de rémunération ?
L’impact de la culture ukrainienne est également très important sur notre système de rémunération. Parallèlement à la corruption, les entreprises ukrainiennes sont encore dans un système de « blacks compagnies » qui ne déclarent que la partie obligatoire du salaire, soit à peine 20%. Le reste est versé de manière totalement discrétionnaire par le manager. Héritage de l’ère soviétique caractérisée par le contrôle et la défiance, la loi ukrainienne prévoit aussi des réductions de salaires en fonction de l’ancienneté appliquées à chaque absentéisme. Dans ce pays très individualiste où les citoyens ne peuvent compter que sur eux, tous les systèmes d’animation de la performance collective demandent beaucoup de pédagogie pour fonctionner ! La mise en place des politiques de rémunération différée est complexe car le coût est exorbitant et le bénéfice pas immédiat.

Quel sens donne-t-on à la « gestion de carrière » ?
Avec une espérance de vie moyenne inférieure d’environ 20 ans à la France, la notion de construction d’une carrière est toute relative. Se développer dans son métier ? Pour quoi faire ? La vie est courte et chaque opportunité qui se présente doit être saisie, ce qui rend difficile toute GPRH ! La stabilité des équipes est donc plus faible en général (autour de 65% pour Leroy Merlin Ukraine contre 95% en France par exemple). Un vrai défi pour consolider les savoir-faire. En outre, la carrière se conçoit uniquement de façon verticale dans une culture très forte du chef qui a toujours raison. Les mécanismes de collaboration et d’intelligence collective sont loin d’être naturels quand le poids hiérarchique est aussi fort. Le salut va venir de la nouvelle génération !

Des concepts comme la marque employeur ou le marketing RH ont-ils une réalité en Ukraine ?
Plus que jamais il est crucial pour les entreprises de structurer leur démarche pour attirer les talents dont elles ont besoin. Tous les concepts de marketing RH sont arrivés en Ukraine sous l’impulsion des entreprises internationales et cette semaine aura lieu à Kiev le Forum Employer Branding and Engagement. Comme en France, on sent les prémices d’une révolution profonde liée à la digitalisation de l’économie et à la remise en question d’une forme de capitalisme débridée. Le mouvement ne fait que débuter mais il est présent et dans les réunions de DRH internationales de notre Groupe, les aspirations sont partout les mêmes. Ce sont les réponses locales qui devront être adaptées !

ukraine mapQue recouvrent pour les collaborateurs ukrainiens des notions comme l’engagement, les rapports entre employeur et employés, la « valeur travail » ?
L’histoire de l’Ukraine a été façonnée depuis des siècles par les invasions et les déplacements de peuples. Il en résulte une culture qui mélange fatalisme et individualisme. L’engagement est donc forcément de nature différente. Toutefois, ne pouvant pas compter sur un état corrompu, la société ukrainienne civile s’organise ! Une grande solidarité existe. La famille et les amis sont une valeur refuge et il est fréquent de voir un collaborateur quitter l’entreprise pour aller au chevet d’une personne de sa famille. Lors des évènements de Maidan, nombreux sont les collaborateurs qui allaient rejoindre le mouvement après le travail pour organiser les collectes de vêtements, médicaments et nourriture etc. Les ukrainiens aspirent à un mieux vivre et travaillent dur 40 heures par semaine, auxquelles s’ajoute la durée dans les transports en communs bondés, qui pourraient faire passer la ligne A du RER parisien pour du luxe ! Seulement 30% des ukrainiens possèdent un véhicule !

Pour conclure, quels sont selon vous les 4/5 principaux sujets d’attention pour les DRH en Ukraine ?
Le système de mutuelle santé, dans un pays avec un état sanitaire très dégradé. La prévoyance, auparavant inexistante, a émergé fortement avec la guerre. Ensuite le logement des collaborateurs, en particulier sur Kiev, où le budget qui y est consacré représente jusqu’à 70% du salaire. Egalement l’accélération de la diffusion des réseaux sociaux et les usages à développer chez les plus anciens. Et enfin, offrir des conditions de travail et des perspectives d’avenir dans un pays en crise.

Muriel, un très grand merci pour votre témoignage.

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